« Je m’attends toujours au pire »
Ils passent leur temps à parier sur leurs échecs ou à redouter les dangers qui pourraient s’abattre sur eux. Au point de se rendre la vie infernale. Comment contrer cette tendance à l’anticipation négative ?
A chaque nouvelle rencontre, c’est la panique pour Aglaë, qui se persuade qu’elle va « se faire plaquer ». Sylvie a la certitude que son projet de formation est voué à l’échec, car elle « n’y arrivera jamais ». Quant à Julien, il n’a pas passé son entretien d’embauche qu’il « sait déjà qu’il ne sera pas retenu ». Cette lecture de la vie, épuisante et handicapante, est, selon le psychiatre Michel Lejoyeux, celle de « l’anxieux qui voit la vie à travers une trop longue focale ». Traverser l’existence sans connaître son lot de malheurs lui paraît irréaliste. Alors autant s’y préparer…
Une angoisse d’actualité
Les hyperanxieux justifient leurs peurs en les raccrochant aux mauvaises nouvelles. L’accident, la maladie, les attentats font chaque jour de nouvelles victimes. Pourquoi pas eux ? « Quand les médias nous abreuvent d’informations sur les dangers que nous courons, c’est l’inquiet qui incarne le bon sens, tandis que l’insouciant fait figure d’illuminé ! », remarque le professeur Lejoyeux, qui évoque une « hypocondrie médiatique ». L’actualité n’est cependant qu’un prétexte à l’expression d’une angoisse plus intime. Elle lui sert de support, de dérivatif. Au point que l’assiduité de certains à suivre les journaux télévisés peut correspondre à « une forme d’addiction et de fascination pour ce qu’ils croient redouter le plus ».
Une forme d’autopunition
Pour parer au danger, celui qui craint le pire redouble de précautions : éviter tel aliment qui pourrait l’intoxiquer, tel avion qui pourrait s’écraser, ne pas essayer pour ne pas échouer, ou ne pas aimer pour ne pas souffrir… Ce qu’il prend pour de la prudence ressemble davantage à un fonctionnement autopunitif. Au fond, « s’attendre au pire, c’est croire qu’on ne mérite pas mieux, résume le psychanalyste Moussa Nabati. Or, ce regard que l’on porte sur la vie détermine notre parcours, il agit comme un frein. L’anticipation négative incessante épuise le moi. Elle gonfle à l’infini ses angoisses, l’affaiblit dans ses moyens ». Et condamne l’anxieux à une vie rétrécie et peu gratifiante qui le conforte dans son pessimisme.
Une peur d’« enfant intérieur »
Mais qui a peur ? « Ce n’est pas l’adulte, c’est son enfant intérieur, assure le psychanalyste. S’il a, autrefois, été maltraité moralement ou physiquement (violence, abandon, inceste…), s’il a assisté à la souffrance de ses parents (chômage, disputes, alcoolisme…), il a absorbé une telle quantité d’angoisse qu’il la restitue, plus tard, en anticipant de nouvelles épreuves ». Déconnecté du présent, il revit en réalité des craintes éprouvées par le passé, « dans son autrefois et ailleurs », dit Moussa Nabati.
L’enfant qui a souffert se croit responsable de ce qu’il a subi. Il grandit dans l’idée que le bonheur doit toujours se payer d’un malheur. Celui qui en prend intimement conscience a en main une piste sérieuse, pour pouvoir s’autoriser enfin à être heureux.
Que faire?
Examinez vos peurs
La première démarche pour « s’en sortir », c’est « d’y entrer », explique le psychanalyste Moussa Nabati. Autrement dit, commencez par reconnaître que vous avez peur et que vous en souffrez. Etre à l’écoute de ses sensations permet déjà de s’en libérer. Tentez de ne pas vous mentir, car, comme le souligne le psychiatre Michel Lejoyeux, « l’essentiel est de voir clair en soi, et de pointer du doigt les mécanismes incontrôlables qui déterminent nos émotions ».
Relativisez
La crainte excessive du danger procède d’une vision particulière de la réalité. Documentez-vous et approfondissez vos connaissances, cela vous permettra une prise de recul salutaire. Et dites-vous que cela ne soulagera pas les victimes de vous identifier à elles. Essayez donc de retrouver votre vraie place, au lieu de vous mettre à celle des autres.
Conseils à l'entourage
N’essayez pas de prouver à un hyper-inquiet qu’il n’y a pas de danger, conseille Moussa Nabati. « Confirmez-lui que ce qu’il dit n’est pas délirant, qu’il peut effectivement se faire écraser, que ses enfants peuvent devenir délinquants, qu’en tombant amoureux, il risque de souffrir d’une séparation ultérieure… Mais si tout cela est vrai, cela n’est pas réel pour autant.
Vivre comporte le risque de mourir, de perdre… Et la seule possibilité de jouir de la vie, c’est d’accepter ce risque, qui est le “tragique existentiel”. Evitez aussi de rassurer à tout prix l’anxieux, essayez au contraire de le faire rire. Un peu d’humour et de dérision sont efficaces pour remettre la menace à sa place. »
de Olivia Benhamou - Psychologies